Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Quels sont ces gens, à bord de ce chaland ? demanda la comtesse Marta.

— Ce sont les Cavaliers, comme nous avons coutume de les nommer, répondit le passeur.

— Oh ! dit la comtesse, ta femme est en de bonnes mains, Henrik. Il ne nous reste plus qu’à rentrer.

La jeune femme épouvantée s’était accroupie sans mot dire, les yeux fixés sur la rive. Elle ne se rendit bien compte de l’endroit où elle était qu’après avoir vu disparaître la voiture. Alors elle se leva brusquement comme pour fuir, mais elle était prisonnière, au milieu des Cavaliers interdits et muets. Ils avaient peine à retrouver, dans cette étrangère salie par la marche, maigre, pâle, décharnée, aux yeux farouches, la petite comtesse qui les charmait naguère de sa grâce et de sa fragilité.

Gösta Berling, à quelques pas en arrière, incertain si sa vue ne lui serait pas trop pénible, n’osait se montrer.

Elle se releva et cria :

— Je veux partir !

Elle insistait pour qu’on la fît passer à l’autre rive sur le canot qui suivait le chaland. Mais personne n’avait le courage de lui obéir. Et vainement ils essayaient de la calmer. Qu’avait-elle à craindre au milieu de vieux hommes pauvres ? Du moins, ces vieux hommes sauraient la protéger.

— Non ! s’écria-t-elle. Dieu ne m’a pas pardonné. Laissez-moi partir.

Gösta Berling comprit qu’il serait encore plus dangereux de s’opposer à son désir que de le contenter. Il s’approcha