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envoyait un signe, et qu’elle avait le droit de partir et le devoir de garder sa santé et sa force.

Elle n’alla pas vers l’ouest, — car de ce côté-là demeurait celui qui lui était trop cher. Elle n’alla pas vers le nord, — car vers le nord demeuraient beaucoup de ses amis ; ni vers le sud, — car au sud, loin, très loin, se trouvait la maison de son père. Elle alla vers l’est, — car vers l’est — elle n’avait ni amis, ni connaissances, ni appui, ni consolation.

Elle ne partit pas d’un pied léger, car elle ne se croyait pas encore pardonnée de Dieu. Mais elle était contente de porter sa misère au milieu d’étrangers. Leurs regards indifférents se poseraient sur sa souffrance et la soulageraient comme le contact de l’acier nu fait d’une chair endolorie.

Elle comptait marcher jusqu’à ce qu’elle trouvât une pauvre ferme à la lisière des forêts, où personne ne la connût.

— Il m’est arrivé un malheur, dirait-elle, et mes parents m’ont chassée. Voulez-vous me loger et me nourrir ? Je travaillerai ; et puis je ne suis pas absolument sans argent.

Ainsi elle cheminait dans la nuit claire du printemps, car le mois de mai était passé durant son épreuve, ce mois où les bouleaux mêlent leur tendre verdure à l’obscurité des sapins et où le vent, qui vient du sud, apporte la tiédeur.

Je dois paraître ingrate, moi qui n’ai pas eu un mot pour louer ta douceur, ô beau mois de mai ! Mais avez-vous jamais observé un enfant qui, sur les genoux de sa mère, écoute des contes ? Tant qu’on lui parle de géants cruels et de princesses dolentes, l’enfant tient ses yeux grands ouverts ; mais, dès qu’il s’agit de bonheur et de soleil, le petit ferme les paupières et s’endort doucement, la tête blottie dans le sein maternel. Je suis cet enfant. À d’autres les charmantes histoires ! Je préfère les nuits hantées, les âpres destinées et les passions qui remplissent d’ombre les cœurs sauvages.