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D’ailleurs n’avait-il pas été le pasteur qui convenait à ces gens ? Ils buvaient tous. Pourquoi pas lui ? Le mari qui enterrait sa femme se grisait après l’enterrement. Le père qui faisait baptiser son enfant achevait le baptême dans une soûlerie. Les paroissiens, au retour de l’église, lampaient tant de petits verres que la plupart rentraient ivres. Ah, certes, ils ne méritaient pour pasteur qu’un ivrogne !

C’était dans les voyages que lui commandait son ministère, — quand, recouvert d’un mince pardessus, il faisait des lieues et des lieues sur les lacs gelés où tous les vents froids se donnaient rendez-vous, — quand sa petite barque l’y ballottait sous des rafales de pluie, — quand, par les tempêtes, il était forcé de descendre du traîneau pour se frayer, à lui et à son cheval, un chemin à travers les monceaux de neige, — quand il traversait les marais des bois avec de la boue jusqu’aux genoux —, c’était là qu’il avait appris à aimer l’eau-de-vie.

Les jours de l’année se traînaient dans un ennui morne. Paysans et seigneurs vivaient, leurs pensées enracinées dans la terre. Mais, le soir, l’esprit rejetait ses chaînes, délivré par l’eau-de-vie. L’inspiration soufflait, le cœur se réchauffait, l’existence se colorait, les chansons prenaient leur vol et les roses embaumaient. La salle de l’auberge se transformait pour le jeune homme en un jardin du midi : des raisins et des olives mûrissaient sur sa tête ; des statues de marbre luisaient dans le sombre feuillage ; des savants et des poètes erraient sous les palmiers et les platanes. Non, sans alcool, la vie n’était pas supportable dans un tel pays ! Tous ses auditeurs le savaient bien, eux qui prétendaient le juger. Ils voulaient lui arracher son manteau de prêtre, parce qu’il s’était présenté, en état d’ivresse, dans la maison de leur Dieu. Mais quel Dieu avaient-ils, quel Dieu croyaient-ils avoir, hors l’eau-de-vie ?

Il avait fini l’Introduction, et s’inclina pour lire le Pater. Un silence, que ne troublait pas une haleine, régna