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mettre les pieds au manoir de Borg. Mais elle réussit à se vaincre et à se taire.

Et, minée par la fièvre, consumée par le remords, elle se tient à peine sur ses jambes et rêve de mourir, et sent parfois sa tête singulièrement tourner…

Son mari semble avoir oublié jusqu’à son existence. Il demeure enfermé dans son cabinet et y déchiffre péniblement des manuscrits et de vieux bouquins. Il lit et relit ses lettres de noblesse où pend le sceau du royaume de Svea en cire rouge, énorme et rond, dans une petite boîte de bois. Il examine les griffons et les lis des écussons. Il étudie les oraisons funèbres des nobles comtes Dohna, dont les exploits sont comparés à ceux des héros d’Israël. Et ces choses-là l’intéressent infiniment plus que le sort de sa femme. Sa mère a prononcé un mot qui a tué tout son amour : « Elle t’a épousé pour ton argent ». Il le croit et ne veut plus la voir.

Un mois s’était passé, quand un soir la vieille gouvernante de la maison, qui était très attachée à la comtesse Élisabeth, lui dit :

— La comtesse devrait parler au comte. Mon Dieu, la comtesse est encore si jeune, si enfant ! La comtesse ne sait peut-être pas elle-même ce qu’elle attend ; mais moi, je comprends ses malaises…

C’était bien la dernière chose que la jeune femme pouvait avouer à son mari, tant qu’il nourrissait d’affreux soupçons contre elle.

Cette nuit-là, elle s’habilla en silence dans les vêtements d’une petite paysanne, et se sauva. Elle ne partit pas pour échapper à la souffrance, mais elle crut que Dieu lui