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mèche fumante s’éteigne, en les brûlant, dans les pauvres petits doigts…

La jeune femme sait que Gösta Berling vit et que sa belle-mère avait tendu un piège à sa naïveté. Qu’importe ? Il fallait qu’elle expiât sa tendresse adultère. Et Dieu se sert de la comtesse Martha comme d’un instrument de flagellation.

Mais l’instrument est de lui-même inventif et raffine sur la cruauté. La vieille comtesse imagine de nouveaux supplices et, fatiguée d’éprouver le corps, se tourne contre l’âme. Elle donne un grand dîner et force sa belle-fille de servir en qualité de domestique à sa propre table. Les étrangers verront ainsi qu’elle a commis des crimes qui la rendent indigne de s’asseoir près de son mari. On la regardera avec mépris. Mais quand Élisabeth entre dans la salle, les invités demeurent interdits. Anna Stiernhœk et le juge de Munkerud lui arrachent le plat des mains et veulent qu’elle prenne place à côté d’eux.

— Asseyez-vous, mon enfant, dit le vieux juge. Vous n’avez rien fait de mal.

Et les invités s’indignent, refusent de rester à table, se lèvent bruyamment. La jeune comtesse leur résiste. Ils ne comprennent pas que son âme soupire après la purification et la pénitence.

Quelquefois la comtesse Martha l’oblige de rester des jours entiers à son métier de brodeuse, pendant qu’elle lui raconte des histoires interminables sur cet aventurier de Gösta Berling. Et, du matin au soir, elle fait sonner ce nom formidable aux oreilles de sa victime. Ces jours-là, la pauvre petite se dit que son châtiment n’aura jamais de fin, car son amour est plus vivace que jamais.

— Mais pourquoi ton héros tarde-t-il à venir ? Je l’attends chaque jour, à la tête des Cavaliers. T’aurait-il déjà oubliée ?

Alors seulement la jeune femme éprouve un violent désir de le défendre et de répondre qu’elle l’a prié de ne pas