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La jeune comtesse est devenue la plus humble des servantes. Mais combien de temps son cœur saura-t-il s’humilier ? Combien de temps ses lèvres impatientes sauront-elles se taire ? L’humiliation lui est encore douce. Pendant que le dos ploie sous le fardeau, le cœur se tient tranquille. Celle qu’on ne laisse dormir que quelques heures n’a pas besoin d’appeler le sommeil. Que la vieille comtesse torture à sa guise la jeune femme. Celle-ci ne se révoltera point, car elle sent que le péché vit toujours en elle. Qu’on l’astreigne à une tâche démesurée dans la chambre du tissage, c’est juste : elle n’aurait pas le courage de se donner de ses propres mains la discipline.

Quand vient la grande lessive du printemps, la comtesse Martha l’envoie à la buanderie et surveille elle-même son travail.

— L’eau est trop froide dans ton baquet, dit-elle.

Et elle prend de l’eau bouillante et la verse sur ses bras nus.

L’air est glacial, lorsque les lavandières rincent le linge dans le lac. Des coups de vent leur lancent à la figure une pluie mêlée de neige. Leurs jupes mouillées deviennent de plomb. Au dur labeur du battoir, le sang perle sous leurs ongles. Mais Élisabeth ne se plaint pas. Loué soit Dieu qui veut, pour la sauver, la faire souffrir !

Un soir, l’impitoyable belle mère lui ordonne de l’accompagner jusqu’à son appartement et de l’éclairer d’une chandelle que la jeune femme porte sans chandelier.

— La chandelle est finie, murmura Élisabeth.

— Si la chandelle est finie, laisse brûler le chandelier, répond brutalement la comtesse.

Et elles continuent leur chemin, jusqu’à ce que la