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à courir… Mais c’est pour vous voir que je suis venue… Je voulais vous prier de ne pas tenir compte de mes paroles… Je vous assure que nous serons toujours très heureux de vous recevoir…

— Mais comment êtes-vous venue ici, comtesse ?

Elle eut un rire nerveux.

— Je savais bien que j’arriverais un peu tard, mais je ne pouvais dire à personne que je venais ici… D’ailleurs, il n’y a plus moyen de traverser le lac en traîneau…

— Quoi, à pied, vous êtes venue à pied ?

— Oui, mais, dites-moi, êtes-vous fiancé ? Je voudrais tant que vous ne le fussiez pas ! C’est si mal ! Et j’ai cru que c’était peut-être ma faute… Vous avez pris trop au sérieux mes paroles méchantes… Votre absence fait un tel vide à Borg !

Debout, sur la terre trempée, au milieu des aulnes ruisselants, Gösta Berling a l’impression qu’on lui jette des brassées de roses, et que les roses lui montent jusqu’à la ceinture et qu’elles brillent dans l’ombre, épanouies et parfumées.

— Non, dit-il, pour mettre fin à une angoisse qui pourtant lui cause une joie inexprimable, non, je ne suis pas fiancé.

Alors elle lui saisit la main et la lui caressa.

— Je suis si contente ! soupira-t-elle.

Et elle éclata en sanglots.

Tout ce qu’il y avait de mauvais et de haineux fondit dans le cœur de Gösta Berling comme un peu de neige au soleil.

— Que vous êtes bonne ! dit-il.

Derrière eux, les vagues montent à l’assaut de la vieille et glorieuse forge d’Ekebu. La foule, sans chef, est prise de panique. Et la digue s’écroule et le torrent se précipite, et les pauvres gens ne songent plus qu’à sauver leurs mobiliers et leur vie.

Gösta ne peut laisser la jeune comtesse seule dans la nuit noire traverser la glace fondante. Il a tout oublié et la suit.