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tous les gens qui fourmillent et s’agitent, elle est la seule qui reste inoccupée. Et bientôt le jeune homme ne voit qu’elle. Il lui semble que cette femme doit avoir quelque chose à lui dire. Elle se tient si près de l’eau que les vagues déferlent à ses pieds et que leur écume la fouette. Elle est vêtue d’une robe sombre et d’un châle noir jeté sur sa tête ; et ses regards se tournent obstinément vers lui.

« C’est l’Ondine du Leuven qui a remonté le torrent et qui vient pour m’attirer. Il faut que je la chasse. »

Les vagues aux crêtes blanchissantes ne lui paraissent plus être que le cortège de cette femme mystérieuse. Il s’élance de la digue et court à l’Ondine.

Hélas ! Gösta, pourquoi ta place est-elle vide à ce moment suprême ? On a traîné le brise-lames. Tout le long de la digue, avec leurs cordes, leurs pierres, leurs sacs de sable, les hommes attendent ton ordre. Où est Gösta Berling ? Gösta Berling poursuit l’Ondine.

Les vagues s’écartent ; le brise-lames s’enfonce, suivi des sacs de sable et de pierres. Mais, sans direction, le travail a été fait sans précision. Les vagues redoublent de rage contre le nouvel obstacle : elles commencent par rouler les sacs de sable ; puis elles arrachent les cordes, elles rejettent les pierres et soulèvent tout le brise-lames qu’elles emportent en hurlant de joie vers le Leuven.

Cependant Gösta poursuit l’Ondine.

À sa vue, elle a fait un mouvement comme pour plonger dans l’eau, mais elle s’est reprise et sauvée.

— Ondine ! Ondine ! s’écrie Gösta Berling.

Elle s’est réfugiée sous les aulnes de la rive qui l’enlacent et l’arrêtent.

Le jeune homme l’attrape… et recule.

— Vous êtes bien tard dehors, cette nuit, comtesse Élisabeth, dit-il.

— Je suis venue, balbutie-t-elle… Oh, dites que vous ne l’avez pas fait !… J’ai eu peur quand vous vous êtes mis