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pierres. Et voici qu’à la débâcle du printemps la digue vacillait.

La cascade d’Ekebu est comme un gigantesque escalier de granit, d’où les vagues affolées se poursuivent, se bousculent, se chevauchent, hurlantes, sifflantes, écumantes, et se rejoignent enfin pour se ruer à l’assaut du rempart. Les unes y poussent des mantelets de glace, les autres des béliers de bois ; elles cognent, elles s’acharnent, et, tout à coup, comme si on leur avait jeté un ordre, elles se retirent précipitamment : une grosse pierre se détache de la digue et tombe. Un moment elles semblent effrayées et suspendent leur course, puis, de nouveau, s’élancent.

Que font les hommes ? Ekebu n’est-il donc plus habité ? Hélas, les hommes sont là, foule désordonnée et impuissante. La nuit est noire ; le rugissement de la cascade, le fracas des glaces qui se brisent et des troncs d’arbres qui s’entrechoquent les assourdissent. Le vertige et la folie des vagues semblent les saisir eux-mêmes.

Les cloches de la forge sonnent le tocsin : « Accourez ! Accourez ! La digue tremble, la forge est menacée ; menacé, le moulin, et menacées nos pauvres demeures que nous aimons malgré leur misère ! » Mais seules les vagues répondent à cet appel ; et les vagues et les cloches sonnent ensemble le glas de la puissance et de la gloire d’Ekebu.

On a vainement envoyé message sur message aux Cavaliers. Ils n’y prêtent qu’une oreille distraite. Plus tard ! Le moment est mal choisi. Les cent hôtes sont réunis ; la vendeuse de balais attend à la cuisine, le champagne mousse dans les verres ; et le patron Julius se lève pour porter le toast. Les aventuriers se pâment intérieurement à l’idée du coup de théâtre.

Gösta sort pour chercher sa fiancée.

Il traverse le grand vestibule, dont les deux portes sont ouvertes : il s’arrête, plonge ses yeux dans la nuit sombre… il écoute, et bondit. Que les autres l’attendent, s’ils le veulent, le verre en main ! Les bagues ne seront