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procéder à une enquête. Il était là, dans le chœur, la croix d’or sur la poitrine ; et les théologiens de Karlstad et les pasteurs des communes avoisinantes étaient assis autour de lui.

À cette époque, vers 1820, on avait de l’indulgence pour les buveurs. Mais Gösta Berling, ce jeune pasteur, avait oublié dans la boisson jusqu’aux plus simples devoirs de son ministère. Il était naturel qu’on le lui retirât.

Gösta attendait dans la chaire ; et, pendant qu’on chantait les derniers vers du cantique qui précède le sermon, cette idée lui vint à l’esprit qu’il n’avait que des ennemis dans l’église, des ennemis à tous les bancs. Là-haut, parmi les seigneurs et les notables qui occupaient les galeries ; en bas, dans la foule des paysans et dans le cercle des premiers communiants, il n’avait que des ennemis. C’était un ennemi qui soufflait l’orgue ; c’était un ennemi qui jouait de l’orgue. Tous lui en voulaient, depuis les petits enfants qu’on portait à l’église, jusqu’au gardien, un vieux soldat, raide et fier, qui avait vu la bataille de Leipzig. Il éprouva comme un besoin de se jeter à genoux et d’implorer leur pitié. Mais aussitôt une sourde colère s’éleva en lui. Il se rappela ce qu’il était, lorsque, l’année passée, on l’avait vu pour la première fois dans cette chaire : un homme sans tache. Et maintenant, du haut de cette chaire, il regardait l’homme à la croix d’or, son juge.

Pendant qu’il lisait l’Introduction, un flot de sang lui empourpra le visage. Oui, c’était vrai : il avait bu. Mais qui avait le droit de l’en accuser ? Avait-on vu le presbytère où il devait vivre ? La forêt de sapins, sombre et lugubre, se dressait jusque devant les fenêtres. L’humidité suintait à travers le toit noir, le long des murs moisis. Est-ce que l’eau-de-vie n’était pas seule capable de donner du cœur, quand la pluie et les tourbillons de neige entraient comme à coups de fouet par les carreaux brisés et que, des sillons mal cultivés, on pouvait à peine arracher de quoi ne pas sentir la faim ?