Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le Leuven commence à dégeler ; la glace se détache des rives. Une eau sombre l’envahit, et les chemins d’hiver sillonnent la neige fondante de longues lignes noires. Et puis comment ? La comtesse Martha, sa belle-mère, ne l’y autoriserait jamais, et toute la soirée elle doit rester au salon près de la vieille dame qui lui conte d’anciennes histoires.

Cependant la nuit est descendue ; son mari est absent ; elle est libre. Et seule, à pied, dans une angoisse irrésistible, l’imprudente se met en route. Ah, ce chemin glissant qui plie et se relève sous les pas, ce chemin du pied léger et de l’œil attentif et du cœur fort et surtout du cœur aimant ! Minuit avait sonné, lorsque la comtesse atteignit la rive d’Ekebu. Elle était tombée plus d’une fois, elle avait sauté par dessus de larges crevasses, elle avait couru aux endroits où l’eau jaillissait, elle avait rampé en pleurant. Et, frissonnant des pieds à la tête, dès qu’elle eut touché le rivage, elle s’assit sur une pierre et sentit sa détresse, et craignit d’être arrivée trop tard.

Des gens passaient en courant sans la voir, et elle entendit leurs paroles.

— Si la digue cède, dit l’un, adieu la forge !

— Oui, dit l’autre, et adieu le moulin et les demeures des forgerons !

Elle se releva et les suivit.

Le moulin et la forge d’Ekebu étaient protégés par une digue contre le torrent dont la chute grondait un peu plus haut. Mais la digue avait vieilli. Sous le règne des Cavaliers on songeait plus à s’amuser qu’à examiner de vieilles