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bagues de fiançailles. Puis on donnera une grande fête dans les salles d’Ekebu. Jamais les Cavaliers n’ont rêvé d’aventure plus extravagante.

Certes, la jeune comtesse, qui connaît ces projets par une indiscrétion, ne fera pas un pas pour les empêcher d’aboutir. Elle songera à sa réputation, à la colère de son mari, à la malveillance haineuse de sa belle-mère. Pendant le long service divin de l’église de Svartsiœ, elle inclinera la tête, joindra les mains et priera pour Gösta Berling. Elle passera des nuits d’insomnie à pleurer sur lui. Mais elle ne lui donnera pas la pression de main qui le ramènerait du bord de l’abîme.

Gösta Berling ne se soucie guère de couvrir son élue de soie et de bijoux. Elle continue de vendre ses balais, et quand il aura réuni tous les notables de la contrée dans un vaste festin, il l’appellera de la cuisine, telle qu’elle est, avec de la poussière et de la boue sur ses haillons, les cheveux mal peignés, les yeux hagards, la parole incertaine, et il demandera à ses hôtes si le prêtre défroqué n’a pas trouvé une belle fiancée et s’il ne peut s’enorgueillir de ce délicat visage et de ces yeux pleins de rêve.

Le jour des fiançailles est venu et son crépuscule tombe. La jeune comtesse, debout devant la fenêtre du cabinet bleu, regarde au loin. Il lui semble presque apercevoir Ekebu, bien que le brouillard et les larmes l’en séparent. Elle se représente les trois étages du manoir illuminés et le champagne dans les flûtes et les toasts aux abominables fiançailles de Gösta et de la vendeuse de balais. Oh, si elle était près de lui, si elle pouvait tout doucement lui toucher le bras, peut-être l’arrêterait-elle sur ce chemin du désespoir où sa cruauté l’a poussé. Il faut qu’elle y aille. Elle fera atteler et traversera le Leuven et entrera au galop dans la cour d’Ekebu et dira à Gösta Berling qu’elle ne le méprise point et qu’elle ne savait pas ce qu’elle faisait, lorsqu’elle le chassa de sa présence. Mais que penserait-on d’elle ? D’ailleurs le voyage est presque impossible.