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homme qu’il était son meurtrier. Je n’ai jamais osé jeter sur ses épaules le fardeau d’un tel remords. Et, pourtant, n’était-il pas son meurtrier, Élisabeth ?

La comtesse Dohna a cessé de caresser les fleurs bleues. À ce moment elle se lève et le bouquet roule à ses pieds.

— Tu te moques de moi, Anna, dit-elle. Cet homme n’est pas mort. Qui est-il ?

Gösta Berling apparut sur le seuil. Il venait les chercher, car les vieilles dames s’étaient éveillées.

La jeune comtesse raide, immobile et pâle, le dévisagea.

— Allez-vous-en ! dit-elle.

— Qui ? moi ?

— Je veux que le prêtre défroqué sorte d’ici.

— Mais, Élisabeth… dit Anna.

— Anna, qu’est-ce que cela signifie ? demanda Gösta.

— Réponds-lui, dit la comtesse.

— Non, comtesse, répondez-lui vous-même.

La comtesse refoula l’émotion qui l’étreignait.

— Je lui dirai donc, fît-elle, que je connais l’histoire d’Ebba Dohna et que je ne comprends pas qu’un pareil homme ait le front de se montrer dans la compagnie d’honnêtes femmes. Est-ce assez ?…

— Oui, comtesse. Je vous demande seulement la permission de prononcer quelques mots pour ma défense. J’étais persuadé que vous saviez tout. Jamais je n’ai essayé de vous rien cacher : mais on n’a pas l’habitude de crier sur les grandes routes, à qui veut les entendre, les malheurs les plus amers de sa vie.

Et il s’en alla.

La jeune comtesse mit son pied sur le bouquet d’anémones.

— Tu as fait ce que je voulais que tu fisses, dit Anna Stiernhœk rudement ; mais c’est fini, notre amitié. Ne crois pas que je te pardonne d’avoir été cruelle pour lui. Tu l’as chassé, blessé, insulté, et moi je le suivrais de bon cœur en prison et, s’il le fallait, au pilori. Tu as fait ce