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que son amour ? Tout lui eût mieux valu que ce recueillement des allées de sapins, — tout, sa vie de mendiant et même de voleur, tout, tout !

— Vit-il encore ? interrompit la jeune comtesse

— Non… je crois qu’il est mort, dit Anna qui commence à trembler.

Et elle reprend :

— Un été passa, un automne, un hiver, et, quand le printemps vint et que la glace du Leuven fondit, Ebba Dohna tomba malade. Dans les vallées, le sol dégelait et formait une boue épaisse, infranchissable : aux pentes des collines, l’eau ruisselait sur les glacis. Les traîneaux ne pouvaient plus se risquer au milieu du lac, et les voitures ne pouvaient pas encore s’aventurer dans les chemins. Et cependant la jeune fille était en danger de mort. Il fallait un médecin, et il n’y avait de médecin qu’à Karlstad. Le jeune homme joua sa vie et partit. Il descendit des côtes de verglas, se tailla des marches dans la glace, affronta l’enlisement des marécages, traversa la débâcle du Leuven ; et, comme le médecin refusait de le suivre, on dit qu’il l’y força le pistolet à la main.

« La comtesse était folle d’angoisse. Quand elle vit le médecin, elle se serait jetée aux pieds de celui qui l’avait amené. « Demande-moi ce que tu veux ! s’écria-t-elle. » Elle lui eût sans aucun doute donné sa fille…

Anna Stiernhœk s’arrêta brusquement.

— Qu’arriva-t-il ? demanda la jeune comtesse.

— C’est très simple… La jeune fille apprit que celui qu’elle aimait était un prêtre défroqué… Et il arriva qu’elle ne voulut pas guérir… Je suis entrée dans sa chambre, quelques jours plus tard, et je l’ai trouvée près de la fenêtre ouverte, enveloppée de la mortelle humidité du crépuscule. Je suis la seule qui sache qu’elle a fait ses premiers pas de convalescente vers la mort. J’ai écouté ses divagations dans la fièvre, et j’ai recueilli son dernier salut à celui qu’elle avait aimé… Je n’ai jamais osé dire à cet