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doigts effilés s’insinuait dans la vôtre et la pressait timidement. Sa petite bouche était la plus silencieuse des bouches et la plus grave aussi. Et sa voix ! Elle prononçait les mots si lentement et si bien ! Mais cette voix ne sonnait jamais jeune et chaude et elle traînait des inflexions lasses, comme les derniers accords d’un artiste fatigué. Ebba Dohna ne ressemblait à personne. Son pied effleurait la terre : on eût dit une ombre fugitive. Et elle baissait toujours les paupières, comme pour mieux protéger ses visions merveilleuses. Élevée par une grand’mère très pieuse, qui l’avait bercée et nourrie de légendes dorées, elle avait grandi dans l’attente du Christ et de son règne millénaire ; et, quand le ciel s’empourprait des flammes du couchant, il lui semblait que le Messie allait sortir et apparaître sur ce seuil de splendeur.

« Elle vivait en Dieu, elle rêvait de Dieu, lorsqu’elle cheminait sous les sapins du parc, et y rencontrait le jeune homme. Et un soir vint où il lui parla d’amour. Ebba Dohna lui demanda de l’aider à préparer et d’annoncer avec elle l’arrivée du Sauveur. Que pouvait-il répondre ? Aucun chemin ne lui était plus fermé que celui où elle voulait qu’il entrât. Il la laissa dans son illusion, et leurs secrètes fiançailles se firent sur un mensonge. Ce ne fut pas un amour avec des baisers et des caresses. Il osait à peine approcher d’elle. Elle était fragile, comme une fleur. Mais ses doux yeux bruns se levaient parfois pour chercher les siens. Et par les soirs de clair de lune, quand on était assis sur la véranda, elle se glissait près de lui ; et alors il lui baisait les cheveux sans même qu’elle le sentît.

« Je ne veux pas dire plus de mal de lui qu’il n’est nécessaire. Je veux croire qu’il aima cette enfant ; je veux croire que son âme près de cette jeune fille retrouva des ailes. Je veux croire qu’il redevint un homme honnête et un cœur pur. Mais s’il l’aimait, pourquoi ne se dit-il pas tout de suite qu’il ne lui ferait jamais un don plus funeste