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pour eux, ni trop bas. Un jour une comtesse, le lendemain une mendiante. Les Cavaliers ont le cœur large et spacieux. Malheur à celle qui aime un Cavalier ! Elle ira le chercher ivre au bord de la route ; et elle devra supporter qu’il courtise d’autres femmes. Ah, Élisabeth, si un Cavalier demande une danse à une honnête femme, elle a bien le droit de la lui refuser ! S’il lui donne un bouquet, qu’elle jette les fleurs à terre et les foule aux pieds ! Et, si elle l’aime, qu’elle meure plutôt que de lui appartenir ! Il y avait autrefois, parmi les Cavaliers, un prêtre défroqué. On l’avait chassé de l’église pour ivrognerie. Figure-toi qu’il buvait jusqu’au vin de la communion ! T’a-t-on parlé de lui ?

— Non. Comment se nomme-t-il ?

— Oh, il n’est plus à Ekebu !… La Commandante l’avait recueilli, et je pense que ce fut elle qui persuada à ta belle-mère, la comtesse Dohna, de le prendre comme secrétaire, régisseur ou peut-être précepteur du comte Henrik, je ne sais trop.

— Un prêtre défroqué ?

— Oui, mais c’était un homme jeune et fort instruit. Quand il ne buvait pas, on ne pouvait rien lui reprocher. D’ailleurs la comtesse Martha trouvait fort plaisant de faire ainsi enrager le curé et le vicaire de la paroisse. Mais elle avait fait promettre aux rares personnes qui savaient l’histoire du nouveau venu de ne point la divulguer ; car elle ne voulait pas que ses enfants la connussent, ni son fils, ni sa fille qui était une sainte.

« À Borg, il ne se mêlait pas à la compagnie, il s’asseyait près de la porte, se taisait à table et fuyait la société sous les sapins du parc. Mais là, dans les sentiers solitaires, il rencontrait la jeune Ebba Dohna. Elle n’était pas de celles qui aiment les fêtes bruyantes et qui promènent de hardis regards sur le monde. Bien que ses dix-sept ans fussent accomplis, elle n’était qu’une enfant candide avec de beaux yeux bruns et un rose d’aurore sur les joues. Son corps délicat et svelte se penchait un peu en avant. Sa main aux