Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ne m’entraînez pas au doute, dit Anna d’une voix mal assurée.

— Regardez, fit Sintram en se penchant sur le jeune homme, regardez son petit doigt. C’est là que nous avons pris le sang dont nous signâmes notre contrat. Petite blessure, mais inguérissable. Il est à moi : l’amour seul pourrait le délivrer.

Anna Stiernhœk tente de s’arracher à la fascination sinistre. C’est de la folie, de la folie ! Personne ne peut signer des pactes avec l’Esprit du Mal. Mais elle ne parvient pas à dominer et à gouverner ses pensées. L’ombre plus épaisse de la nuit l’étouffe : et la forêt se dresse autour d’elle, si sombre et si muette !

— Vous pensez peut-être, continue Sintram, qu’il n’y a plus grand chose à détruire en lui ? Ne le croyez pas… A-t-il oppressé les paysans, trahi ses amis, triché au jeu ? A-t-il jamais été l’amant d’une femme mariée ?

— Je crois que le Maître de Fors est le diable en personne.

— Faisons un échange. Prenez-le, épousez-le, sauvez-le, gardez-le ; mais donnez votre argent à ceux de Berga. Je vous cède le beau jeune homme… Non, non, ce n’est pas Dieu qui vous a envoyé les loups, l’autre nuit… Faisons un échange.

— Et que voulez-vous en échange ?

Sintram grimaça un sourire.

— Ce que je veux ? Je me contente de peu. Donnez-moi la vieille femme qui est là, dans votre traîneau.

— Tentateur, s’écria Anna, va-t-en ! Trahirai-je une vieille amie qui s’est confiée à moi ? Te la laisser, à toi, pour que tu la rendes folle !

— Voyons, voyons : un instant de réflexion ! Entre cet homme jeune et beau et cette dame déjà très mûre, qui prendrai-je ?

Anna eut un éclat de rire désespéré.