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— Va, va ! Fouette le cheval, dit Ulrika. Sintram sait déjà que je suis partie.

Anna essaya de tourner la chose en plaisanterie ; mais Ulrika ne se laissa pas calmer.

— Nous entendrons bientôt ses grelots ! Nous les entendrons avant d’être parvenues au sommet de la prochaine colline.

En effet, comme Disa s’arrêtait pour souffler un instant au haut d’Elofsbacken, un bruit de sonnailles se fit entendre du pied de la colline. Alors la pauvre Ulrika frémit, gémit, sanglota. Anna voulut, d’un coup de fouet, mettre Disa au galop, mais celle-ci, tournant la tête, lui envoya un regard chargé d’étonnement. Eh quoi, voulait-on lui apprendre quand il était temps de marcher ou de courir, à elle qui connaissait chaque pont, chaque barrière, chaque côte, depuis plus de vingt ans ?

Les grelots se rapprochaient toujours.

— C’est lui ! C’est lui ! gémissait Ulrika.

Les tintements devenaient par moment si étrangement forts qu’Anna se retourna pour voir si le cheval de Sintram ne touchait pas déjà leur traîneau ; et, par moment aussi, les sons se mouraient. Les deux femmes les entendaient tantôt à droite, tantôt à gauche ; mais elles n’apercevaient personne. Comme dans la nuit, au retour d’une fête, les grelots chantent des airs de danse, et s’interpellent et se répondent, et remplissent la forêt de leur carillon, ainsi l’invisible traîneau ébranlait tous les échos à la fois de sa musique surnaturelle.

Il n’y avait pas bien longtemps qu’Anna avait fait ce même chemin, poursuivie par des loups. Leurs dents luisaient dans l’obscurité, et la jeune fille avait pensé que ses membres seraient broyés et déchirés ; cependant elle n’avait pas eu peur. Jamais elle n’avait vécu une nuit plus magnifique. Le cheval était fort et beau ; beau et fort, l’homme qui partageait à ses côtés la joie de l’aventure. Mais, avec ce vieux cheval d’aujourd’hui et cette compagne