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enflammée et la lui avait lancée dans la gueule. Alors il s’était enfui en poussant des hurlements lugubres, au milieu des flammes et de la fumée. Et les traces de ses pas sur la route laissaient des lueurs phosphorescentes.

Et n’était-il pas formidable que, chaque fois que le maître de Fors s’en revenait chez lui, les bêtes qui le traînaient se fussent métamorphosées ? On l’avait vu partir avec des chevaux, et, au retour, la nuit, sa voiture était attelée de taureaux noirs. Les gens qui demeuraient au bord de la route apercevaient d’énormes cornes noires se profiler sur le ciel nocturne. Ils entendaient des beuglements et s’effrayaient des gerbes d’étincelles que les sabots et les roues faisaient jaillir de la poussière du chemin.

Ah, il est certain que les petits pieds des enfants avaient de bonnes raisons pour se hâter à travers le grenier sombre ! Songez donc : si quelque chose d’horrible, si celui dont on n’ose pas prononcer le nom, avait surgi tout à coup d’un coin ténébreux ! Ce n’était pas seulement aux méchants qu’il se montrait. Ulrika Dillner ne l’avait-elle pas vu ? Et Anna Stiernhœk ne savait-elle pas comment il leur était apparu ?

Pauvre Ulrika Dillner ! Les rires des jeunes gens avaient peut-être sonné trop insolemment à ses oreilles, et les souliers de satin des jeunes filles avaient sans doute foulé et froissé son vieux cœur aimant. Elle fut prise d’un irrésistible désir d’avoir le titre et la dignité d’une femme mariée. Et, le méchant Sintram lui ayant demandé sa main, elle se sépara de ses amis de Berga et de ses chères besognes.

Ils s’étaient fiancés à la Noël ; ils se marièrent en février. Anna Stiernhœk demeurait alors dans la famille du capitaine