Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suite de la fenêtre et s’ils regardaient tomber le soir d’hiver, ne voyaient point de nuages à l’horizon ; mais les nuages étaient des Cavaliers qui parcouraient l’espace en des charrettes bancales ; et les étoiles, étaient des bougies allumées dans le vieux manoir de Borg, et le rouet, qui ronflait dans la pièce voisine, celui d’Ulrika Dillner. La tête des enfants était pleine de ces revenants, et, quand vous les envoyiez au grenier sombre chercher du lin et des biscuits secs, alors leurs petits pieds volaient pour revenir vite à la cuisine éclairée ; car là-haut, dans les ténèbres, ils sentaient s’agiter autour d’eux toutes les histoires du méchant maître de Fors qui avait fait un pacte avec le Diable.

La poussière du méchant Sintram repose depuis longtemps dans le cimetière de Svartsiœ ; mais personne ne croit que Dieu ait son âme, comme le dit l’inscription de la pierre.

Pendant qu’il vivait, il était de ceux qui reçoivent d’étranges visites. Les longs après-midi des dimanches pluvieux, un lourd carrosse attelé de chevaux noirs s’arrête devant leur perron. Un monsieur élégant et noir en descend. On voit l’hôte et l’inconnu chasser, avec les cartes et les dés, les heures traînantes et désespérément monotones. La partie se poursuit jusqu’à minuit passé, et, à l’aube, quand l’étranger quitte la maison, il laisse toujours derrière lui quelque cadeau funeste.

Oh, ces gens sinistres que visitent les mauvais esprits et qui, là où ils vont, se font précéder par de terribles phénomènes et des bruits avant-coureurs ! Quel pouvait bien être ce gros chien noir qui, du temps de Sintram, rôdait à Fors ? Ses yeux étincelaient horriblement, et sa longue langue sanglante pendait hors de ses crocs. Un jour, au moment où les valets allaient sortir de l’office, après avoir pris leur dîner, il avait gratté à la porte, et toutes les servantes avaient crié d’épouvante ; mais le plus fort et le plus rude des valets avait arraché du feu une bûche