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comte. Mais je tombe de sommeil. Il est grand temps que nous allions nous coucher.

— Gösta Berling, puisque ma femme a refusé de danser avec toi, je lui ordonne de te demander pardon et de te baiser la main.

— Mon cher comte, s’écria Gösta, ce n’est pas une main digne d’être baisée par une femme. Hier, je l’ai plongée dans le sang d’un élan ; et, la nuit dernière, à la suite d’une rencontre avec un charbonnier, elle était noire de suie. Vos paroles m’ont donné pleine et entière satisfaction : tenons-nous-en là. Adieu.

Mais le comte lui barra la route.

— Ma femme, s’écria-t-il, doit apprendre à obéir.

La jeune comtesse, toute pâle, ne bougea pas.

— Va ! dit le comte.

— Henrik, je ne peux pas.

— Tu peux, répondit-il durement. Tu aurais mieux aimé sans doute un beau duel où ton mari serait resté sur le carreau ! Obéis.

Elle lui jeta un long regard et le vit tel qu’il était : sot, lâche, gonflé d’orgueil, le plus misérable des hommes.

— Calme-toi, dit-elle, devenue plus froide que la glace. J’obéirai.

Gösta Berling fut hors de lui.

— Je ne le souffrirai pas, comtesse ! s’écria-t-il. Non ! Vous n’êtes qu’une enfant innocente et candide. Je porte malheur à tout ce qui est bon et pur. Je n’approcherai plus de vous. Ne me touchez pas.

— Laissez, laissez, murmura-t-elle. Il est fou de lâcheté. Vous avez voulu que je fusse humiliée : je m’humilierai.

— Vous croyez que je l’ai voulu ? Ah, vraiment, vous le croyez ?

Il se précipita vers la cheminée et enfonça ses mains dans les flammes qui se rejoignirent.

Mais Bérencreutz le saisit à la nuque et le lança violemment à l’autre bout de la chambre. Gösta se releva, hon-