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— On ne demande pas au renard la permission de l’écorcher, fit-il.

Le comte mit la main sur sa poitrine plate.

— J’ai la réputation d’être un homme juste, dit-il. Je sais juger mes serviteurs. Pourquoi ne saurais-je pas juger ma femme ? Les Cavaliers n’avaient pas le droit de s’en faire les juges. Je considère que la punition qu’ils ont cru bon de lui infliger est non avenue.

Le comte cria ces derniers mots avec sa voix de fausset. Toutes les personnes présentes, les Sintram et les Dahlberg, pouffaient intérieurement de la manière dont Bérencreutz se jouait de cet imbécile d’Henrik Dohna.

La jeune comtesse ne comprit pas d’abord. Quoi, son angoisse, le chant sauvage, les paroles, les baisers, cela était non avenu ?

— Mais, Henrik…

— Tais-toi, dit-il. Une femme ne peut pas juger la conduite des hommes. Toi, ma femme, tu oses insulter quelqu’un dont je serre la main ! Que t’importe que les Cavaliers laissent la Commandante en prison ? Tu ne comprends pas ce que ressent un homme de cœur, quand il se trouve en face d’une adultère. Aurais-tu donc l’audace de défendre une pareille femme ?

— Mais, Henrik…

Elle eut un gémissement d’enfant. Jamais elle n’avait entendu d’aussi dures paroles, et il lui sembla qu’elle était seule, pour toujours seule dans le vaste monde, et que son cœur n’y pourrait plus jamais colorer les choses de sa fraîche lumière.

— Mais, Henrik, n’est-ce pas à toi de me défendre ?

— Où est Gösta Berling ? interrogea le comte.

— Ici, dit Gösta, très ennuyé du tour qu’avaient pris les évènements.

Il essaya de plaisanter :

— Vous me faisiez un discours, je crois, mon cher