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sourcils froncés le faisaient presque sourire. « Tu ne sais pas toi-même, songeait-il, combien tu es bonne et douce. » Et dès ce moment Gösta Berling se sentit forcé d’être son serviteur et son esclave jusqu’à la mort. Et il restait assis près de la porte, les mains jointes, les yeux fixés sur la jeune femme.

Il ne se dérangea même pas lorsque le comte Dohna fit irruption, accompagné de gens qui juraient, sacraient, s’indignaient ou gémissaient de cette nouvelle frasque des Cavaliers. Bérencreutz, le pied sur la grille de la cheminée, le coude appuyé au genou, attendait, imperturbable, l’assaut.

— Qu’est-ce que cela signifie ? glapit le petit comte.

— Cela signifie que tant qu’il y aura des femmes, il y aura des nigauds qui danseront à leur musique.

— Je demande ce que cela signifie, répéta le comte furieux et cramoisi.

— Et moi je demande, répliqua Bérencreutz, pourquoi la femme d’Henrik Dohna a refusé de danser avec Gösta Berling et avec les Cavaliers.

Le comte se tourna vers sa femme avec un regard interrogateur.

— Je ne le pouvais pas, Henrik, s’écria-t-elle. Je ne pouvais danser avec aucun de ces hommes. Je songeais à la Commandante qu’ils laissent languir en prison.

Le comte redressa son corps raide et sa tête de petit vieux.

— Nous autres Cavaliers, poursuivit Bérencreutz, nous ne permettons à personne de nous insulter. Celle qui ne veut pas danser avec nous fait avec nous une course en traîneau. La comtesse n’en a éprouvé aucun mal, et je pense que l’affaire est terminée.

— Non pas ! dit le comte. Je voudrais savoir de Gösta Berling pourquoi il ne s’est pas adressé à moi, quand ma femme, dont je suis le tuteur, l’a insulté.

Bérencreutz sourit.