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disparaît sous les ténèbres des sapins sauveurs. Cours, Don Juan, vieil aventurier, cours comme un jeune élan !

Son cœur sauvage se remplit, à cette course effrénée, d’une allégresse que doublent encore les appels et les cris. Et il sent la jeune comtesse trembler de frayeur. Il se dresse debout dans le traîneau et agite son bonnet :

— Je suis Gösta Berling, seigneur de dix mille baisers et de treize mille billets d’amour !

Et s’inclinant sur sa proie :

— La rapidité n’est-elle pas enivrante ? lui dit-il. Le voyage vraiment royal ? Par delà le Leuven, il y a le Vœnern ; par delà le Vœnern, la mer, d’immenses espaces de glace transparente et d’un bleu sombre ; et par delà tout un monde de splendeurs ! Des craquements de foudre sous nos pas, des étoiles filantes sur nos têtes, des cris perçants derrière nous, et devant nous le carillon des sonnailles ! En avant ! La course ne vous séduit-elle pas, jeune femme ?

Mais elle le repousse violemment, et l’instant d’après, il est à ses genoux.

— Je suis un misérable, un misérable, comtesse ! Mais vous n’auriez pas dû m’irriter. Vous vous dressiez si fine et si fière et si sûre que jamais la main d’un Cavalier ne pourrait vous atteindre ! Je sais que le ciel et la terre vous aiment. Pourquoi avez-vous ajouté au fardeau de celui que méprisent et la terre et le ciel ?

Il s’empare avec véhémence des mains de la jeune femme qu’il porte à son propre visage.

— Ah, si vous saviez ce que c’est que d’être un homme perdu ! On ne se soucie guère des conséquences de ses actes, allez !

Mais, comme il remarque que ses mains sont nues, il tire de sa poche des gants de fourrure et les lui met.

Il était redevenu tout à fait calme et, s’écartant de la jeune femme autant qu’il le pouvait :

— Ce n’est pas la peine de vous effrayer, comtesse. Ne