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route, je dormirais à cette heure ! Elle m’a fait, il est vrai, Cavalier d’Ekebu. Mais pensez-vous, comtesse, que j’en tire jamais beaucoup de joie et beaucoup d’honneur ?

La comtesse lui tourna le dos sans répondre et regagna sa place, pleine de colère contre les Cavaliers. Ils ont osé venir avec leurs violons et leurs cors de chasse, sans songer que leur concert retentirait jusque dans la pièce où était enfermée leur ancienne bienfaitrice. Et ils dansent, à s’user les semelles, sans songer que leurs ombres se distinguent et se reconnaissent à travers les vitres. Ah, que le monde est gris et laid !

Quelques instants après, Gösta Berling vint demander une valse à la comtesse Élisabeth. Elle refusa sèchement.

— La comtesse ne veut pas danser avec moi ? fit-il en rougissant de dépit.

— Ni avec vous ni avec aucun autre des Cavaliers d’Ekebu, dit-elle.

— Vous ne nous jugez pas dignes de cet honneur ?

— Ce n’est pas un honneur ; mais je ne trouve aucun plaisir à danser avec ceux qui négligent les devoirs de la reconnaissance.

Gösta s’éloigna.

Cette scène a été vue et entendue par beaucoup de personnes, et tout le monde donne raison à la comtesse ; car la dureté et l’ingratitude des Cavaliers ont provoqué une indignation générale.

Mais, depuis qu’il est revenu de la chasse et qu’il a trouvé la chambre de Marianne vide, Gösta Berling, dont le cœur n’a été qu’une plaie mise à nu, est intraitable et voudrait faire payer sa souffrance à l’univers entier. La comtesse lui a déclaré la guerre : soit ! Elle aime, paraît-il, les enlèvements et les aventures. Elle en aura ! Voilà huit jours qu’il porte le deuil d’une femme : c’est plus que suffisant. Il appelle le colonel Bérencreutz et Christian Bergh, le fort capitaine, et le frileux cousin Kristoffer qui n’a jamais reculé devant une folie. Et tous les quatre discutent la