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— Oui, comment peut-on danser ce soir ? répondit la jeune comtesse à voix basse.

— Ce n’est pas de mon propre gré, répliqua Mme Sharling, que nous avons une sauterie ici, pendant qu’elle est enfermée là. Elle était à Karlstad ; mais, maintenant qu’elle va passer en justice, on nous l’a amenée. Nous ne pouvions pas la mettre dans le misérable cachot de la commune ; et je lui ai ouvert cette chambre. Elle aurait eu mon salon, comtesse, si tout ce monde n’était venu. Vous la connaissez à peine, mais elle a été comme une mère et une reine pour nous tous. Que doit-elle penser de nous qui dansons quand elle est en si grande misère ? Par bonheur, peu de gens soupçonnent sa présence.

— On n’aurait jamais dû l’arrêter, dit Élisabeth.

— Oh c’est certain ! Comment lui en voudrait-on d’avoir brûlé quelques méchantes meules de foin et chassé les Cavaliers ? Mais le Commandant la traquait partout. On ne l’a emprisonnée que pour lui épargner de plus grands malheurs, peut-être. Sharling a eu beaucoup d’ennuis à cause de la Commandante, comtesse. À Karlstad on lui reproche de ne pas avoir fermé les yeux sur ce qui s’est passé à Ekebu. Seulement, il a fait pour le mieux.

— Et maintenant on la condamnera ? demanda la comtesse.

— Non, comtesse : elle ne sera pas condamnée. La Commandante d’Ekebu sera certainement acquittée. Mais elle a trop enduré : elle deviendra folle. M’est avis qu’il eût mieux valu la laisser libre. Elle aurait peut-être échappé toute seule au Commandant.

— Relâchez-là, dit la comtesse.

— Tous peuvent le faire, sauf le bailli et sa femme, murmura Mme Sharling. Nous sommes tenus de la surveiller, nous. Et cette nuit, où tant de gens sont ici, deux hommes gardent sa porte. Mais si quelqu’un parvenait à la délivrer et à lui assurer la fuite, nous en serions heureux, Sharling et moi.