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préciait en lui l’éclat du vieux nom et ses glorieux ancêtres. Elle sentait que sa présence amollissait la raideur du comte Henrik, dont la voix se faisait moins cassante pour lui répondre. D’ailleurs, il la laissait s’amuser à sa guise. Enfin la jeune comtesse ne pouvait s’imaginer qu’une femme mariée n’aimât pas son mari, surtout un mari probe, sincère, qui n’avait jamais trahi sa parole, un vrai gentilhomme.

Le huit du mois de mars, le bailli Sharling célèbre son anniversaire, et beaucoup de gens montent alors les pentes de Brobu. De l’est, de l’ouest, de loin, de près, invités et non invités se réunissent sous son toit. Tous y sont les bienvenus ; tous y trouvent à manger et à boire, et une place suffisante où la jeunesse de sept communes peut danser ses polskas.

La jeune comtesse y vient aussi, comme elle a accoutumé de faire aux endroits de divertissement. Mais, ce jour-là, la jeune comtesse Élisabeth n’est pas gaie. En route, elle a regardé le soleil couchant, qui descendait du ciel sans tache et ne laissait point derrière lui de nuage bordé d’or. Un crépuscule gris pâle, traversé de bouffées d’air froid, s’étendait à perte de vue. Le jour luttait contre la nuit, et tout ce qui vivait semblait frissonner d’inquiétude. Les chevaux se hâtaient ; le dernier chariot rentrait aussi vite que possible : les abatteurs de bois, d’un pas pressé, revenaient de la forêt, et les servantes de l’étable. Des bêtes hurlaient sur la lisière des futaies. Le jour était vaincu. Les couleurs pâlirent encore ; la lumière s’évanouit. Tout ce que la jeune comtesse voyait n’était que froide laideur. Et ses pensées, et ses espérances, et sa vie tout entière lui parurent envahies de ce même crépus-