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beau. On prétend que la tête qui s’emmanche à son maigre cou est un héritage que les Dohna se transmettent depuis deux ou trois cents ans. À force d’avoir servi, les cheveux en sont tombés, la peau a jauni, les lèvres ont blêmi, le menton s’est élimé, le cerveau s’est usé. Mais quelle précieuse relique ! Quand on la porte, c’est à peine si on ose l’incliner. Le comte Henrik a toujours peur de la perdre. Il vit entouré de railleurs qui lui font dire cent sottises et les colportent en les amplifiant. Par bonheur, il ne remarque jamais rien. Il est solennel et digne : la dignité mesure ses mouvements, raidit sa démarche, ne permet pas à sa tête de se mouvoir sans que tout son corps ne suive.

Et pourtant, la jeune comtesse l’aime : elle l’aime bien malgré sa tête vieillotte. Quand elle le vit là-bas à Rome, elle ignorait la magnifique réputation de sottise qu’il s’était faite dans son pays. Et puis le voyage lui avait communiqué = quelque chaleur. Et puis ils avaient été si romanesquement unis !

Il fallait entendre la comtesse raconter comment le comte Henrik avait dû l’enlever, — oui, l’enlever. Sa mère et ses sœurs la suppliaient de renoncer à ce mariage avec un hérétique. Les moines, les prêtres, les cardinaux s’étaient ligués contre elle. La foule avait failli s’ameuter. Leur palais était assiégé ; et Henrik, poursuivi par des bandits. Et son père, furieux qu’on voulût l’empêcher de donner sa fille à qui bon lui semblait, avait ordonné à son futur gendre d’enlever sa fiancée ! Ils avaient dû se glisser par de petites rues et de petites venelles jusqu’au consulat suédois où elle avait abjuré sa foi catholique. Quel mariage bâclé ! Bref, ils s’étaient enfuis dans un carrosse fermé.

— Vous comprenez, ajoute la jeune comtesse, qu’on n’avait pas le loisir de publier des bans. Les gens de là-bas sont si violents qu’ils m’auraient tuée pour sauver mon âme.

Quand ils furent installés à Borg, la jeune comtesse continua d’aimer son mari, à l’abri des orages. Elle ap-