Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que s’ils avaient rencontré la jeune comtesse, il y a trente ou quarante ans…

— Elle n’était même pas née ! objectent ces dames.

Et la prochaine fois qu’elles se retrouvaient avec la jeune femme, elles la taquinaient et lui reprochaient de leur enlever le cœur de leurs maris.

Les vieilles dames ne la regardent pas sans inquiétude : il leur souvient que la comtesse Marta, sa belle-mère, joyeuse, aimable, et aimée de tous à son arrivée au manoir de Borg, y était devenue une coquette vaniteuse et férue de plaisirs. « Ah, disent-elles, si la petite comtesse avait seulement un mari qui lui donnât le goût du travail ! Si seulement elle apprenait à monter un métier et à ourdir une toile ! Ourdir une belle toile, cela console de tous les chagrins, cela absorbe tous les soucis, cela sauve tant de femmes ! »

La jeune comtesse ne demande pas mieux que d’acquérir les qualités d’une bonne ménagère. Souvent, aux grandes fêtes, elle vient s’asseoir auprès des vieilles dames.

— Henrik, leur dit-elle, aimerait tant que je me connusse aux choses du ménage, comme sa mère ! Apprenez-moi donc à mettre un tissage en train.

Alors les vieilles dames poussent un double soupir ; d’abord sur le comte Henrik qui s’imagine que sa mère est une femme d’intérieur ; puis sur les difficultés d’initier cette jeune ignorante à des arts aussi compliqués. On n’a qu’à lui parler de peignes, de lisses, de rames pour que sa tête commence à tourner et les mots d’œil-de-perdrix, de nid d’abeilles et de damas la mettent en déroute.

Personne ne voit la jeune comtesse sans s’étonner de son mariage avec ce pauvre Henrik Dohna qui est un sot.

Plaignons les sots ! Mais plaignons-les surtout s’ils demeurent en Vermland.

Henrik Dohna est sot et l’on ne peut pas dire qu’il soit