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la petite vérole s’y était déclarée ? Et n’étais-je pas encore en souliers de bal sur cette route de neige et de glace ?

— L’amour vit d’amour, non de services et de bienfaits.

— Tu veux donc que nous soyons désormais étrangers l’un à l’autre ?

— Soit !

— Gösta Berling a le cœur changeant.

— On l’en accuse, en effet.

Elle comprit à ce moment que, si elle avait eu un sentiment instinctif et vrai, un de ces sentiments qui remplissent et absorbent l’âme, quelques mots auraient suffi à fondre la glace du jeune homme. Mais elle était de glace elle-même, au fond d’elle-même. Et pourtant l’idée de le perdre lui était insupportable.

— Gösta, ne pars pas irrité ! Ne pars pas ! Je n’ai jamais aimé que toi.

— Tu ne dis pas la vérité, répondit-il. Tu me trompes ou tu te trompes : adieu.

À peine eut-il fermé la porte, Marianne éprouva une douleur atroce et presque physique. Les mains crispées sur son cœur, elle demeura des heures entières, immobile, torturée, les yeux sans larmes. Elle ne se ressaisit qu’à la pensée que tout n’était peut-être pas perdu et qu’il lui restait la ressource d’écrire à Gösta. Elle lui écrivit une lettre passionnée. Et cette lettre la soulagea. Mais, les jours suivants, l’amour-propre l’empêcha de la lui envoyer. Le temps passa, et, avant qu’elle eût trouvé un messager, elle apprit sur Gösta Berling des choses qui lui firent comprendre qu’il était trop tard pour le conquérir. Elle souffrit ; mais la souffrance lui rendit le service qu’elle avait attendu de l’amour. La jeune Marianne en sortit plus simple, plus complète, capable de se donner tout entière et, malgré sa laideur, plus aimable et plus aimée. Cependant on dit qu’elle n’oublia jamais Gösta Berling. Son cœur en porta le deuil, comme d’une vie infiniment riche un jour entrevue et à jamais évanouie.