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tant de quel orgueil il avait chéri son beau visage ! Qu’il se maîtrisât afin de ne pas l’affliger, elle en fût saisie.

— Je t’envelopperai bien, lui dit-il simplement, dans la grosse pelisse. Elle n’est pas froide ; je l’ai tenue tout le temps sur mes genoux.

Cependant il l’étendit un instant devant le feu. Puis il aida sa fille à se lever du canapé, la couvrit, jeta sur sa tête un châle qu’il lui passa sous les bras et lui noua dans le dos. Inerte, elle se laissait faire. Qu’il était agréable d’être choyée, et commode de ne plus être forcée de vouloir ! Le maître de forges l’emporta jusqu’au traîneau, releva la capote ; et l’attelage s’éloigna d’Ekebu.

Marianne ferma les yeux et soupira : soupir de bien-être et de regret. Elle disait adieu au vrai bonheur de l’existence. Que lui importait, d’ailleurs, à elle qui ne savait pas vivre, mais seulement jouer sa vie ?

Quelques jours plus tard, sa mère lui ménagea une entrevue avec Gösta Berling. On profita de l’absence du maître de forges qui était allé surveiller ses coupes de bois dans la forêt.

Gösta entra : il ne salua ni ne parla, et resta près de la porte, les yeux fixés à terre.

— Gösta ! s’écria Marianne qui, assise dans un fauteuil, le regardait d’un œil presque amusé.

— Oui, c’est mon nom.

— Viens ici, près de moi, Gösta.

Il s’approcha lentement, sans lever les yeux.

— Plus près, et agenouille-toi.

— À quoi bon tout cela ? fit-il en obéissant.