Page:Lagerlöf - La Légende de Gösta Berling, trad. Bellessort 1915.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfoui quelque bien mal acquis. Mais au moment où il lève la tête pour voir s’il peut le manger en pleine tranquillité, il reste tout penaud devant des pies qui le regardent. « Chipeur ! » disent les pies qui lui semblent la conscience personnifiée. « Taisez-vous, canailles : je suis le gardien ici. » — « Le beau gardien ! » font-elles avec leur rire moqueur. Le chien se jette sur les pies, et les pies s’enfuient avec de lourds battements d’ailes. Le chien saute, aboie ; pendant qu’il chasse l’une, l’autre vole droit au trou, en arrache un lambeau de viande, mais n’arrive pas à le soulever et l’emporter. Le chien se retourne, attrape le morceau, le retient par les pattes et y mord. Les pies reviennent et lui chantent pouilles. Il leur lance, tout en mangeant, des regards furibonds, et, quand elles redoublent d’insolence, il se précipite et les met en fuite.

Le soleil commence à décliner vers les montagnes de l’ouest. Le maître de forges regarde sa montre : il est trois heures et le dîner était commandé pour midi.

Juste à ce moment, le valet vint lui annoncer que Mlle Marianne désirait lui parler.

Le maître de forges prit sur son bras la pelisse de loup et monta l’escalier, la figure rayonnante.

Quand Marianne entendit ses pas pesants, elle n’était pas encore décidée à le suivre. La jeune fille avait espéré que les Cavaliers reviendraient, qu’irrité d’attendre, son père s’en irait, ou encore qu’il enfoncerait les portes et mettrait le feu à la maison. Mais cette attente patiente, tranquille, souriante, assurée, avait fini par lui donner une sorte d’angoisse. La volonté de cet homme impassible l’enchaînait comme d’un lien magnétique et l’attirait vers le traîneau. Pour rompre le charme, ne sentant plus contre lui ni rancune ni tendresse, elle résolut de lui parler. Elle fit lever les stores et se plaça, le visage en pleine lumière.

Mais, ce jour-là, Melchior Sinclair était un homme extraordinaire. Il la vit, ne broncha pas. Elle savait pour-