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cieuse, et cette réponse lui plut tant qu’il donna un rixdaler de pourboire au garçon.

— Va dire à ma fille que je suis venu la chercher. Elle n’aura pas froid : j’ai choisi le traîneau à capote et je lui apporte une pelisse de loup.

— Le patron ne prendra-t-il pas la peine d’entrer ?

— Non, merci : je suis bien ici.

Le valet disparut et le maître de forges commença d’attendre.

Ce jour-là, il était de si charmante humeur que rien n’était capable de l’agacer. Il s’était préparé à une assez longue attente. Peut-être sa fille ne serait-elle pas levée. Il s’amuserait à regarder autour de lui. Justement un gros glaçon pendait du toit et donnait fort à faire aux rayons du soleil. C’était en vain qu’ils l’attaquaient à la racine : les gouttes qui fondaient et roulaient n’en avaient pas atteint la pointe qu’elles étaient de nouveau prises. Et le soleil s’évertuait et les gouttes gelaient. Mais un petit brigand de rayon, un tout petit, vif et pétillant de zèle, s’accrocha à l’extrémité du glaçon, et tout à coup une goutte se détacha et sur le sol tomba, doucement sonore. « Tu n’es pas bête, toi », dit le maître de forges au petit rayon de soleil.

La cour était déserte : aucun bruit ne s’échappait de la vaste demeure. Mais Melchior savait que les femmes mettent beaucoup de temps à leur toilette. Il ne manifesta pas la moindre impatience et tourna les yeux vers le colombier. On en avait entouré la plate-forme d’un fin grillage afin d’empêcher, durant l’hiver, les colombes de sortir. De temps à autre, une colombe s’avançait et insinuait sa tête blanche dans le réseau des mailles de fer. « Elle attend le printemps, se dit Melchior Sinclair, mais il lui faut de la patience. » La colombe revenait si régulièrement qu’il prit sa montre et constata qu’elle le faisait toutes les trois minutes. « Oh non, ma belle ! dit-il. Crois-tu donc que le printemps est prêt en trois minutes ? Patiente ! Patiente ! »