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vous jetez votre fille dans la neige et vous l’accusez ensuite de méchanceté, parce qu’elle ne revient pas ! Et vous l’estimez assez peu pour vous imaginer que la menace de son héritage perdu la décidera à abandonner celui qu’elle aime ?

— Gösta, je t’en prie, ne te fâche pas, toi aussi. Je ne sais pas ce que je dis. L’autre nuit, j’ai bien essayé d’ouvrir à Marianne ; mais il m’a arrachée de la porte ! On prétend toujours ici que je ne comprends rien. Sois assuré, Gösta, que je ne te refuserais pas Marianne si je croyais que tu peux la rendre heureuse. Mais ce n’est pas facile de rendre heureuse une femme !

Gösta la regarda : comment s’était-il emporté contre cette pauvre créature toujours timorée et harcelée ?

— Vous ne me demandez pas des nouvelles de Marianne ? reprit-il doucement.

Elle éclata en sanglots.

— Tu ne te fâcheras pas, dit-elle : mais j’ai désiré t’en demander tout le temps. Je sais seulement qu’elle vit : rien de plus. Je n’ai pas reçu un seul mot d’elle, pas même lorsque je lui ai envoyé ses vêtements. Alors, je me suis imaginé, j’ai cru que vous ne vouliez pas…

Gösta ne put se taire plus longtemps.

— Marianne a été malade, dit-il. Elle a été malade tout le mois. Elle a eu la petite vérole, et ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle se lève pour la première fois. Je ne l’ai pas revue depuis la terrible nuit.

Ces mots n’avaient pas été prononcés que Mme Gustava s’était élancée hors de la cuisine.

Les gens de la vente la virent entrer et chuchoter vivement à l’oreille de son mari. Le visage du vieux devint encore plus rouge, et sa main appuyée au robinet de la barrique le tourna d’un mouvement brusque et laissa l’eau-de-vie se répandre sur le parquet. Tous pensèrent que les nouvelles apportées par la femme de Melchior devaient avoir de la gravité, et que la vente allait finir. Le marteau du