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Elle s’arrêta et essuya une larme au coin de sa paupière.

— Dieu me pardonne ! reprit-elle. Je divague. Il est bien probable que je n’aurai plus rien à surveiller, ici. Il vend tout, il disperse tout ce que nous possédons !

— Quelle misère ! fit Gösta.

— Tu sais, Gösta, le grand miroir du salon : il était merveilleux, car la glace était d’une seule pièce et la dorure sans défaut. Je l’avais hérité de ma mère. Il le vend !

— Il est fou.

— Oui, fou ! Il ne s’arrêtera que lorsque nous serons obligés de mendier sur les routes, comme la Commandante.

— Oh, j’espère bien que cela n’ira pas jusque-là !

— Si, Gösta. Quand la Commandante a quitté Ekebu, elle nous a prédit des malheurs : les voilà ! Elle ne l’aurait pas laissé vendre Bjorne ! Songe donc : sa propre porcelaine, les tasses de sa maison paternelle, il les vend aussi. La Commandante ne l’aurait pas souffert.

— Mais enfin que veut-il ?

— C’est que Marianne n’est pas revenue. Il l’a attendue et attendue. Il arpentait la grande allée, du matin au soir, et il en devenait fou de langueur. Mais je n’ose rien dire, moi.

— Marianne croit qu’il est fâché contre elle, dit Gösta.

— Non, elle ne le croit pas ! Mais elle est fière et ne veut pas faire le premier pas. Ils sont raides et durs, tous les deux, et c’est moi qui en pâtis. Ne pense pas qu’elle se marie avec toi, Gösta ! Elle a été trop gâtée pour devenir la femme d’un homme pauvre, et elle a trop d’orgueil. Retourne vers elle et annonce-lui que, si elle ne revient pas, son héritage sera anéanti. Je suis sûre qu’il vend tout pour rien !

Assise sur le rebord de la table, elle semblait n’avoir de pensées que pour ses glaces et ses porcelaines.

— Vous n’avez donc pas honte, s’écria Gösta irrité :