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leurs orbites. Il criait, riait, et, à chaque objet vendu, forçait l’acheteur de trinquer avec lui.

Dissimulé derrière les spectateurs, épouvanté et le cœur serré d’angoisse, Gösta Berling se demandait où pouvait bien être la mère de Marianne. Et il se mit à sa recherche.

Le maître de forges n’aimait guère les gémissements et les lamentations des femmes. Furieux des larmes que la sienne versait sur les trésors de son foyer et sur son linge et sur la literie, alors que son bien le plus précieux, sa fille, était à jamais perdu, il l’avait pourchassée de chambre en chambre jusqu’à la cuisine, jusqu’au cellier. Là, elle s’était affaissée sur une échelle, s’attendant à être tuée ; mais il avait simplement fermé la porte derrière elle et emporté la clef, sûr qu’elle ne le dérangerait plus et que d’ailleurs elle ne mourrait pas de faim.

Elle y était encore, prisonnière, lorsque Gösta Berling s’aventura dans le couloir qui séparait la cuisine de la salle à manger. Il aperçut par une lucarne, près du plafond, le visage de Mme Gustava qui, grimpée sur son échelle, épiait l’arrivée d’un sauveur.

— Que faites-vous là ? demanda Gösta.

— Il m’a enfermée, chuchota-t-elle.

— Le maître de forges ?

— Oui ; j’ai même cru qu’il allait me tuer. Mais écoute, Gösta : prends la clef de la salle à manger ; elle ouvre ici.

Gösta obéit, et, quelques instants après, la petite femme se trouvait à ses côtés dans la cuisine abandonnée.

— Mais, dit Gösta, pourquoi ne vous êtes-vous pas fait ouvrir par une de vos bonnes ?

— Chut ! J’aurais été obligée de leur apprendre que la clef de la cuisine allait à la serrure du cellier, et je n’aurais plus jamais été sûre de mes provisions… Et puis j’ai mis de l’ordre sur les planches, là-haut. C’était bien nécessaire : tu n’imagines pas la saleté !…