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argent dans un sac et l’abîmerait sous les eaux du Leuven. Ruine et dévastation, voilà ce qu’il léguerait à sa fille. Quand on lui conta ces choses, Marianne eut comme un sourire indulgent : il lui semblait naturel que son père agît ainsi.

Un jour qu’on avait aéré et purifié les chambres et qu’elle était étendue sur un canapé, elle envoya quérir Gösta Berling. On lui répondit que Gösta Berling était précisément parti pour la vente de Bjorne.

À Bjorne, c’était en effet grande vente. Et, vu la richesse de cette vieille demeure, des gens étaient venus de loin et s’y pressaient.

Le vieux Melchior Sinclair avait traîné et jeté dans le salon tous les meubles du logis qui s’y empilaient jusqu’au plafond. Il avait passé partout, pareil à l’ange du Jugement Dernier, et il avait fait main basse sur tout. Seuls, les ustensiles de cuisine : tabourets, marmites noires, plats de cuivre, gobelets d’étain avaient échappé à sa rafle. C’étaient aussi les seuls objets qui ne lui parlaient point de Marianne.

Dans la chambre de la jeune fille, rien ne fut épargné : ni sa maison de poupée, ni sa bibliothèque, ni la petite chaise qu’il lui avait donnée, ni ses robes, ni son linge, ni son canapé, ni son lit. Il alla de chambre en chambre, et on le vit plier sous le poids des fauteuils et des tables de marbre. Il ouvrit les armoires et en tira la superbe vieille argenterie de famille : Marianne y avait touché. Il emporta des brassées de damas blanc comme de la neige, des nappes lisses avec des broderies à jour plus larges que la main, honnête travail fait à la maison,