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CHAPITRE VIII
LA VENTE À BJORNÉ

Souvent, nous autres enfants, nous étions fort étonnés à ces récits de vieilles femmes.

— Était-ce donc bal chaque jour, tant que dura votre brillante jeunesse ? leur demandions-nous. La vie n’était-elle donc qu’une seule et longue aventure ? Les jeunes filles étaient-elles toutes aimables, et chaque fête se terminait-elle par un enlèvement ?

Les vieilles femmes secouaient alors leur tête vénérable et se mettaient à deviser des besognes du ménage, et du ronronnement des rouets et du bruit des métiers et du claquement des fléaux dans les aires et du coup sourd des haches dans les forêts. Mais cela ne durait guère et elles retombaient bientôt à leur sujet favori. Et les traîneaux attendaient devant les portes, et les chevaux emportaient la gaie jeunesse à travers les sombres bois, et les danses tourbillonnaient et les cordes des violons éclataient. La chasse effrénée des aventures menait son vacarme autour du lac étroit et long de Leuven. La forêt vacillait et s’écroulait ; tous les esprits de la destruction semblaient déchaînés : ravages d’incendie, inondations, digues rompues par les torrents ; et, autour des maisons, le souffle rôdeur des bêtes féroces. Les tranquilles bonheurs étaient foulés, piétinés sous le sabot des chevaux. Partout où passait cette furieuse randonnée, les cœurs des hommes brûlaient de flammes violentes et les femmes s’enfuyaient de leurs foyers.

Nous écoutions silencieux, épouvantés et ravis : « Quels hommes ! songions-nous. Nous ne reverrons leurs pareils. »