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s’en retourna à Ekebu, après avoir assisté, dans la maison du sacristain, à une fête où l’on célébra la mort de l’Ours, et, dans la maison de l’organiste, au dîner des fiançailles.

Le major Anders Fuchs s’en allait le cœur lourd. L’idée que son vieil ennemi avait mordu la poussière ne lui causait aucune joie. Il ne se réjouissait pas non plus d’en emporter la peau que le sacristain avait à tout prix voulu qu’il acceptât. Ce n’était point la pensée que la jolie petite demoiselle Faber appartiendrait à un autre qui le tourmentait. Non. Il regrettait amèrement le beau coup de fusil, le coup de la balle d’argent.

Quand il entra au manoir, les Cavaliers étaient assis autour du feu. Il ne dit pas un mot et jeta la peau de l’ours à leurs pieds. Ne croyez pas qu’il leur contât son aventure : ce ne fut que longtemps, bien longtemps après, qu’on arriva à lui tirer la vérité. Et il ne trahit pas non plus la cachette du pasteur de Brobu, qui probablement ne s’aperçut jamais du vol.

Les Cavaliers examinaient la fourrure.

— Belle peau ! dit Bérencreutz. Je me demande comment ce garçon-là a été éveillé de son sommeil. L’aurais-tu tué dans sa tanière ?

— Il a été tué à Bro.

— Il est superbe, mais pas aussi grand que l’Ours de Gurlita, dit Gösta.

— S’il était borgne, dit Kevenhuller, j’aurais pensé que tu avais tué le vieux monstre. Mais celui-ci n’a pas de plaie autour des yeux. Ce n’est pas notre Ours.

Fuchs, qui n’avait pas un instant songé à faire cette remarque, jura contre sa propre sottise, puis son visage s’épanouit et rayonna au point qu’il en devint presque beau. Le grand Ours de Gurlita n’était pas tombé sous la balle d’un autre !

— Seigneur Dieu, que tu es donc bon ! soupira-t-il en joignant les mains.