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les rites, un jeudi soir, à la nouvelle lune, dans le clocher.

Le sacristain ahuri épaule l’instrument, et — Dieu lui pardonne ! — il vise comme s’il en voulait à la vie de la Grande Ourse qui brille, là-haut, près de l’Étoile Polaire. Le coup retentit jusqu’au sommet du Gurlita, et vous pensez bien que l’ours tombe. Il n’en saurait être autrement quand on a dans son fusil une balle d’argent.

Des gens accourent de toutes les fermes avoisinantes : jamais coup de feu n’a réveillé plus d’échos endormis. Et le sacristain, qui croit encore rêver, est félicité et presque porté en triomphe pour avoir délivré le pays de son plus cruel fléau.

Le petit Faber se montre aussi. Mais le triomphe du sacristain, l’ours mort, ses vaches sauvées, rien ne l’émeut. Il n’ouvre pas les bras à l’heureux chasseur ; il ne le traite pas de héros ; il ne le nomme pas son beau-frère. Et le major, déçu, les sourcils froncés, frappe du pied. Il voudrait expliquer à ce petit homme avare et têtu ce que c’est que d’avoir tué le grand Ours de Gurlita ; mais il bégaie de colère et ne parvient pas à articuler ses mots. Et sa fureur s’accroît de toute la vanité de son sacrifice.

Cependant le sacristain et quelques jeunes gens entreprennent de dépouiller la bête et vont aiguiser leurs couteaux sur la meule de grès. Les autres rentrent se coucher et laissent le major Fuchs en tête-à-tête avec l’ours terrassé.

Il n’y reste pas longtemps et de nouveau se dirige vers l’église, tourne encore une fois la clef dans la serrure, regrimpe les escaliers étroits, réveille les pigeons et se réintroduit dans le clocher…

Quand, sous la surveillance d’Anders Fuchs, on écorcha la bête, on trouva entre ses mâchoires une liasse de cinq cents rixdalers. Cette merveille parut inexplicable, mais, puisque le sacristain avait tué la bête, il devait empocher l’argent. Pour lors, le petit Faber comprit la beauté de l’exploit et déclara qu’il serait heureux et fier de lui donner le nom de beau-frère. Et le vendredi soir, le major Fuchs