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séduire. Ces quelques renégates décidèrent du sort de la grève, qui finit rapidement.


3. La grève de Voiron.

Celles qui avaient résisté ne purent trouver du travail dans les autres usines. Je fus donc obligée de partir et je me dirigeai sur Voiron. J’étais à peine installée que, là aussi, les ouvrières furent à leur tour acculées à la grève. Le patron voulait nous imposer proportionnellement les mêmes diminutions de salaire que nous avions subies à Vizille. L’organisation était très faible : sur 1.500 tisseuses ou tisseurs, à peine une centaine était syndiquée. Mais grâce aux efforts de nos amis de Grenoble et Lyon, l’action fut si fortement menée que la diminution fut empêchée et qu’on établit même un barème pour unifier les prix. Le syndicat patronal dut l’accepter, mais ce ne fut pas sans difficulté. Le 19 mars 1906, la grève générale du tissage de la soierie avait été déclarée et elle dura jusqu’aux premiers jours de juin ; alors, tous les patrons, au nombre de 13, ayant accepté le barème, la grève cessa. Elle avait été admirablement conduite. Le syndicat avait organisé un comité de grève, une commission d’achat, une commission de contrôle. Les cantines populaires fonctionnèrent à la perfection : les meilleures militantes s’étaient dévouées et transformées en cuisinières. Au début, la municipalité avait assuré aux grévistes la viande et le pain, mais, au bout de trois semaines, la préfecture le lui interdit. C’est alors que l’organisation redoubla d’efforts : des listes de souscription furent envoyées dans toute la France, la solidarité ouvrière porta ses fruits, et plus de 30.000 francs parvinrent ainsi, d’un peu partout, aux grévistes.

Un incident particulier de cette grève doit être signalé. À 4 kilomètres de Voiron, à la Patinière, une usine, l’usine Permezel, occupait, sur un total de 500 ouvrières, une proportion de 350 Italiennes. Comme l’usine était un peu trop éloignée de Voiron, on organisa sur place une cantine populaire. Naturellement, les Italiennes furent invitées à y prendre leurs repas. Ces pauvres femmes déclarèrent n’avoir jamais mangé à leur faim, depuis plusieurs années qu’elles travaillaient à l’usine Permezel, et surtout n’avoir jamais mangé de viande. Une d’elles, atteinte de tuberculose, mourut même, au cours de cette grève, faute de soins : elle en était réduite à manger du pain trempé dans du vinaigre. La difficulté était de causer avec ces pauvres Italiennes ; il leur était défendu de parler avec personne, même dans les ateliers. Heureusement que notre camarade Auda, délégué de l’Union du tissage mécanique de