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0 fr. 22, baissaient à 0 fr. 14, etc. On pense quelle fut notre réponse. Nous acceptâmes la guerre à outrance. Quelques jours après, le juge de paix offrit son arbitrage, mais le patron ne répondit pas : il était retourné à Cannes.

Au bout d’un mois de cette résistance improvisée, nous dûmes faire appel à des camarades du dehors. Nous organisâmes des soupes communistes, que tous nos amis de Grenoble et de Lyon trouvèrent fort bien. Les secours matériels et moraux ne nous firent pas défaut, et nos cantines eurent un grand succès : les jours de marché, les paysans étaient nombreux qui venaient goûter notre soupe. Puisque je raconte nos efforts, que je dise comment nous avions organisé nos repas. À midi, on donnait à chacun 300 grammes de viande, 300 grammes de pain et une portion de légumes ; pour les enfants au-dessous de douze ans, les portions étaient réduites ; à six heures du soir, soupe avec pommes de terre et légumes. Cela dura 104 jours. Les petits commerçants nous étaient hostiles au début, mais peu à peu ils se mirent de notre côté, et les dons en nature ou en espèces vinrent alimenter chaque jour nos marmites. Nous étions 200 grévistes femmes.

Un moment, nos camarades de l’usine voisine Tresca avaient eu l’intention de se solidariser avec nous et de faire aussi grève. Mais, réflexion faite, elles continuèrent le travail, et s’imposèrent une cotisation de 0 fr. 50 par semaine pour nous soutenir. Cela alla bien durant six semaines. Ces secours nous permettaient d’alimenter régulièrement nos marmites. Mais le patronat s’inquiéta de pareils actes de solidarité et voulut les empêcher. Les collectes furent interdites dans les ateliers, on empêcha de cotiser à l’usine, on découragea nos camarades en leur disant que le conflit ne finirait jamais si on continuait ainsi, etc. Des manifestations s’en suivirent, quelques maladroits brisèrent quelques vitres, et nous fûmes aussitôt envahies de gendarmes et de soldats. Des jeunes filles furent arrêtées, deux furent condamnées à huit jours de prison, et l’on condamna aussi de dix à vingt jours cinq jeunes gens. Après le troisième mois, les pourparlers recommencèrent, le patron nous fit appeler de nouveau à la mairie et nous soumit de nouveaux tarifs : nous les refusâmes. Il espérait que, la misère nous ayant brisées, nous pourrions plus facilement capituler. Mais, cette fois encore, nous résistâmes. M. Duplan se tourna alors vers le préfet, qui désigna un arbitre : c’était un patron, qui ne valait pas mieux que le nôtre, et cette tentative échoua encore. Alors, en désespoir de cause, le patron envoya la femme de son chauffeur et celle de son comptable racoler les ouvrières à domicile : dix-neuf se laissèrent