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2. La grève de Vizille.

Cela dura jusqu’en 1902, où les ouvriers se réveillèrent enfin et s’organisèrent en syndicats, avec le concours de militants syndicalistes de la Bourse du Travail de Grenoble. Alors ce furent des cris incessants du côté du patronat. Tous les procédés pour faire échouer nos efforts furent employés. Mais ils n’aboutirent à rien. En 1904, M. Duplan rapporta d’Amérique un système nouveau de bloc-navette, grâce auquel les métiers purent battre de 290 à 300 coups à la minute. La conséquence fut qu’on voulut imposer une diminution du 60 % au personnel. Voici la façon dont M. Duplan agit, ou plutôt fit agir son directeur. Il fit arrêter d’abord toute la préparation : dévideuses, bobineuses, ourdisseuses, en disant que, ma foi, il n’y avait plus de travail et qu’on rappellerait les ouvrières dès que l’ouvrage reprendrait. Au bout de trois semaines, comme une partie des tisseuses chômait en même temps que les ouvrières de la préparation, une délégation fut envoyée auprès du directeur. Celui-ci nous répondit qu’il y avait bien du travail, mais qu’il serait moins payé que par le passé, à cause des maisons concurrentes qui travaillaient à meilleur marché. Le directeur essaya de nous endormir, il nous dit que M. Duplan était en voyage, et qu’il le préviendrait dès son retour. Tout cela pour que les tisseuses qui étaient encore à l’atelier fournissent le travail qu’elles avaient sur les métiers. Une réunion eut lieu le 9 mars 1905, où les ouvrières, à l’unanimité moins deux voix, décidèrent la grève. Le lendemain, nous en informâmes le directeur, qui téléphona à M. Duplan, installé à Cannes. Ce dernier répondit de continuer le travail encore cinq jours jusqu’à son arrivée, qu’il arrangerait les choses, etc. … Mais ce qui avait été décidé fut exécuté, et nous cessâmes toutes le travail. Nous n’avions pas voulu faire confiance à notre patron, qui nous demandait d’attendre cinq jours, comme s’il fallait cinq jours pour revenir de Cannes ! De plus, si nous avions patienté cinq jours, les pièces qui restaient sur les métiers auraient été finies et le tour était joué.

Dès qu’il fut rentré, le patron fit appeler la délégation, et il nous raconta un tas d’histoires, dont nous ne crûmes pas un seul mot. Il avait préparé un papier pour la circonstance, où il avait inscrit ses nouveaux prix : les articles mousseline dits 120 dents, qui nous étaient précédemment payés 0 fr. 14, ne devaient plus nous être réglés que 0 fr. 07, et on ne pouvait en tisser plus de 20 mètres par jour ; un autre article, payé 0 fr. 10, était abaissé à 0 fr. 05 ; un troisième tombait de 0 fr. 08 à 0 fr. 03 ; les façonnés en satin de Suède, payés