énorme et splendide œil de queue de paon sous une paupière humaine, le tout encadré de cabochons exangues. À Paris, un jour de mai, au Bois, un pauvre diable, que depuis quelque temps Ruth trouvait toujours sur son chemin, sortit d’un buisson, suivit sa voiture et jeta à ses pieds cette plaque d’émail, en lui disant d’une voix toute naturelle : — « Pour vous seule, en vous faisant observer que le jour où vous la quitteriez, je me soustrairais à la vie ». Or, un soir, comme elle entrait dans un salon, un monsieur s’évanouit à son aspect. Revenu à lui, ce monsieur balbutia que c’était, non pour elle, mais pour la plaque d’émail qu’elle portait sur la poitrine, et qu’il la priait de lui céder cette plaque pour sa collection. Ruth refusa, raconta l’histoire, donna tout ce qu’elle savait du signalement de ce fou. L’amateur se mit en quête, échoua, languit, vint un jour chez Ruth et y rendit à la grande nature sa pauvre âme d’amateur de choses artificielles.
Et voilà le grand secret lâché ! Cette Ruth, cette charmante agonisante, par une insondable fatalité, passe sa vie à répandre le suicide sur son chemin, sur son chemin de croix.
Avant de venir attrister cette petite ville d’eaux, Ruth opérait à Biarritz ; et malgré son horreur du sang, elle voulut voir une course de taureaux à San Sébastian.
Ruth et son imperturbable frère se trouvaient au-dessus du toril, dans la loge du gouverneur. Ah ! comme elle vibrait en sa large toilette d’étamine thé, toilette sommairement drapée, sans plissés ni volants, hâtivement bâtie avec l’en-allé bâclé d’un linceul, pour ne pas insulter, semblait-il, par