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comme un vert sapin de son pays. Ils sont descendus il y a deux mois dans cet hôtel dont ils habitent un pavillon retiré.

— Faible, Patrick, faible comme un sachet éventé...

Trop pure, en effet, pour vivre, trop nerveuse pour vivoter, mais aussi trop de diamant pour se laisser entamer par l’existence, l’inviolable Ruth, tel un sachet, s’évente peu à peu, de stations d’hiver en stations d’hiver, vers le soleil ami des cimetières, des décompositions et des poupées de cire vierge...

L’an passé on la vit aux Indes, à Darjeeling, et c’est là, oh ! juvénile phtisique ! que sa tuberculose s’est condimentée d’hallucinations. Ceci à la suite d’un étrange suicide dont elle (déjà pourtant retirée du conflit de ce bas monde sanguin) s’est trouvée improvisée par une nuit de lune, au fond d’un jardin, l’inspiratrice éperdument involontaire et l’unique témoin. Et depuis cette nuit-là, dans le fin sang de poitrinaire qu’elle crache, elle croit toujours voir le sang rouge et passionné, le sang même de l’énigmatique suicidé, et elle délire à ce sang si radicalement répandu des choses concises et poignantes.

Phtisique, hallucinée : quoi qu’il en soit du fond de tout ce romanesque, la jeune dame « n’en a pas pour longtemps », comme on se permet de le siffloter dans les sous-sols de l’hôtel, à l’office (cet étage est sans pitié).

Allons, ainsi qu’en un rêve qui interrompt, pour une saison ou deux, ses voyages personnels et son développement de héros, le bon Patrick suit, d’un œil fataliste, les mourantes, mourantes aurores des taches hectiques aux pommettes de sa sœur et les lunules de sang à ses mouchoirs. Il ne