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BERLIN. LA COUR ET LA VILLE

On se range, on se découvre. Leurs Majestés arrivent, dans la même voiture découverte qui est celle de l’impératrice, véhicule à caisse carrée et très basse, où la souveraine peut être installée dans la chaise même où on la roule à travers ses appartements. L’empereur, tête basse, son beau sourire heureux et faible et fini sous sa moustache toujours retroussée, est assis, comme affaissé, ses deux mains gantées de blanc posées sur ses genoux. Il est dans une petite tenue un peu usée et porte la simple casquette, casquette remarquablement plate et modeste contrastant avec les proportions abusives en hauteur qu’ont prises dans ces derniers temps celles des officiers élégants de Berlin.

L’impératrice est en noir garni de jais. Les voyages et les deuils de cour sont les seuls cas où elle porte du noir. En tout autre temps, elle ne recule pas devant les couleurs les plus franches qui, encadrant sa maigre personne voûtée et son hautain visage ruiné et fardé, font d’elle le personnage le plus singulier qu’un Talleyrand ou un lord Beaconsfield eussent pu rêver, et que M. de Bismarck, qui n’est ni Talleyrand ni Beaconsfield, n’a pas trouvé de son goût allemand.