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LETTRES 1883-1887

Encore une douzaine et je porte mon manuscrit je ne sais où.

J’y regrette une chose — certains vers naturalistes y échappés et nécessaires. J’ai perdu de mon enthousiasme, mes naturalismes, comme poète seulement (pour le roman, c’est autre chose), (le milieu dans lequel je vis n’est d’ailleurs pour rien dans ce retour). La vie est grossière, c’est vrai — mais, pour Dieu ! quand il s’agit de poésie, soyons distingués comme des œillets ; disons tout, tout (ce sont en effet surtout les saletés de la vie qui doivent mettre une mélancolie humoristique dans nos vers), mais disons les choses d’une façon raffinée. Une poésie ne doit pas être une description exacte (comme une page de roman), mais noyée de rêve.

(Je me souviens à ce propos d’une définition que me donnait Bourget : La poésie doit être à la vie ce qu’un concert de parfums est à un parterre de fleurs), voilà mon idéal. Pour le moment du moins. Car la destinée d’un artiste est de s’enthousiasmer et se dégoûter d’idéaux successifs. Cet idéal, mes complaintes n’y répondent pas assez encore à mon gré, et je les retoucherai, je les noierai un peu plus.

En voilà assez. Lis-les, et dis-moi ton avis (tu connais d’ailleurs, déjà, ma complainte des montres). Et envoie-moi une autre photographie.