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ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Il fait une chaleur accablante, à canoniser le pôle arctique. Je lis, je fume, je travaille, je vagabonde par la Forêt Noire. Mais les paysages d’ici, bien qu’uniques au monde, m’écœurent, ils sont plus beaux que nature, ça a l’air d’après les tableaux de Gustave Doré. Vraiment. Puis, j’ai voulu te recopier quelques vers. Ne les perds pas. Je n’en ai qu’une copie. Ils te paraîtront peut-être bizarres. Mais j’ai abandonné mon idéal de la rue Berthollet, mes poèmes philosophiques.

Je trouve stupide de faire la grosse voix et de jouer de l’éloquence. Aujourd’hui que je suis plus sceptique et que je m’emballe moins aisément et que, d’autre part, je possède ma langue d’une façon plus minutieuse, plus clownesque, j’écris de petits poèmes de fantaisie, n’ayant qu’un but : faire de l’original à tout prix. J’ai la ferme intention de publier un tout petit volume (jolie édition), luxe typographique, écrin digne de mes bijoux littéraires ! titre : Quelques complaintes de la vie. Avec cette épigraphe tirée des Aveux :

Et devant ta présence épouvantable, ô mort,
Je pense qu’aucun but ne vaut aucun effort.

J’ai déjà une vingtaine de ces complaintes.