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ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

CXXII

À M. THÉOPHILE YSAYE

Verviers [30 septembre 1886].
Mon cher Théo,

Je t’écris, mais c’est de l’hôtel de Londres, et non pas de celui d’Angleterre.

Ô mon cher, jamais je n’ai vécu une semaine ou n’ai pensé qu’on pût en vivre une comme celle que je viens de passer à Arlon, dans l’atmosphère du mariage d’Eugène. En quittant Arlon et en respirant l’air de l’Europe il me semblait que je m’éveillais comme au sortir d’une maison enchantée, presque d’une maison de fous.

Ah ! Je suis plus que jamais l’esclave du sort. Ce que l’on nomme notre état normal est la grâce d’une totale Ivresse qui se déchaîne, délivrée. C’est effrayant et divin. Je me suis dit : à quoi tient notre sort ! d’émouvants (ou d’effrayants) hasards, un