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ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

Que te dire de plus ? J’emporte en Belgique sa photographie. Je ne puis te l’envoyer encore. C’est un petit personnage impossible à décrire. Elle est grande comme toi et comme moi, mais très maigre et très anglaise, très anglaise surtout, avec ses cheveux châtains à reflets roux, d’un roux dont tu ne peux te douter et que je n’aurais jamais soupçonné avant de la voir, un teint mat, un cou délicat, et des yeux… oh ! ses yeux, tu les verras ! J’ai été longtemps sans pouvoir les fixer un peu. Mais tu verras, figure-toi seulement une figure de bébé avec un sourire malicieux et de grands yeux (couleur goudron) toujours étonnés, et une petite voix et un drôle de petit accent en parlant français avec des manières si distinguées et si délicates, mélange de timidité naturelle et de jolie franchise (songe qu’elle vit seule et libre depuis deux ans et qu’elle a voyagé seule — chose naturelle aux Anglaises et qui ne tire pas plus à conséquence). Elle sait sa langue et l’allemand et le français. — Elle est instruite comme toutes les jeunes filles, avec, en plus, ce qu’on peut acquérir en voyage et en apprenant deux langues étrangères, et ce qu’elle a retenu de nos interminables conversations depuis avril.

Je lui ai raconté de notre famille. Je lui ai sur-